dimanche 21 octobre 2012

Les cinquante ans du CNES : C’est l’espace ! ... Guide introductif sur les nouveaux réseaux sociaux à usage spatial


Pour ses 50 ans, le CNES s’est offert un très beau livre. Je dis « beau », mais je devrais également dire utile. Car il ne s’agit pas d’un livre que l’on range sur le rayonnage de sa bibliothèque ou que l’on sort de temps en temps pour s’attarder sur les belles images : non, ce livre est beaucoup plus que cela…

Construit sur le mode exclamatif, le titre est lui-même tout un programme : C’est l’espace ! 101 savoirs, histoires et curiosités (Gallimard, 2011). En témoignent aussi bien la variété des sujets traités : 101 entrées se dressent ainsi devant l’œil du lecteur, à l’image de « banlieue », « biocosmisme », « bipolaire », « carte », « ciel », « cité », « coopération », « communication », « corps », « coût », « création », « cyborg », « E.T. », « fusées », « Knes », « noms », « opérations », « satellites », « souveraineté », que les profils divers des auteurs : français ou étrangers, astronaute, historiens, sociologues, écrivain, professeurs de philosophie, linguistes, ingénieurs, astrophysiciens, sémiologues, etc. Extraits disponibles ici.

Construit sur le mode encyclopédique ensuite, ce livre multiplie les approches et les points de vue et s’avère être d’autant plus intéressant qu’il est complémentaire de l’ouvrage historique commandé vingt ans plus tôt à l’occasion des trente ans de l’agence spatiale française et justement intitulé, Les trente premières années du CNES (La Documentation Française, 1994). En grande partie rédigé à partir de sources de première main et de commentaires des acteurs eux-mêmes, cet ouvrage se concentrait exclusivement sur l’aventure spatiale française. Il ne restait plus qu’à prendre un peu de hauteur afin de prendre comme objet non plus un seul pays, mais l’humanité entière : voilà chose faite !

... ainsi avec Le Saut dans le vide de Yves Klein, paru à la une de Dimanche, le journal d’un seul jour (27 novembre 1960) sous le titre « Un homme dans l’espace ! ». Deux versions des moments qui ont suivi ce saut spatial ont été données : l’une optimiste, signée par Fayçal Baghriche en 2004, le cycliste pédale mais Klein n’est plus là (sans doute dans les étoiles), l’autre négative montrée la même année par Ciprian Muresan et intitulée Leap into the void, after three seconds

A ces trois images, s’en ajoute une version plus politique proposée par Ilya Kabakov : L’Homme  qui s’est envolé dans l’espace (1988), situe l’action au pays des soviets. Selon Denys Riout, auteur de l’article « Création », « Elle est un parfait condensé de la nécessité de rêver, de s’échapper, de s’élever,  en toute liberté ».



Même s’il est question des rapports entre l’espace et la télévision, le cinéma, la BD et même la publicité, il reste un sujet étonnamment absent de ce livre : internet ! En effet, sauf quelques brèves mentions ici et là, aucune entrée ne lui est spécifiquement dédiée. Il n’est pas fait cas de l’essor des informations intégrées de type GIS, principalement d’origine satellitaire, qui autorise l’analyse et l’intégration de plusieurs niveaux d’informations spatiales associés à une localisation géographique particulière. On cherchera en vain comment certaines rumeurs ou analyses plus ou moins bien fondées se développent en creux lorsque les informations sont par nature insuffisantes ou tronquées. La Chine et les Etats-Unis font ainsi régulièrement les premières pages à coup de lasers, microsatellites, ASAT chinois (cas unique, l’ASAT chinois de 2007 a été révélé pour la première fois sur le net avant d’être confirmé par la diplomatie américaine quelques jours plus tard) voire avions spatiaux. Rien non plus n’est dit de la diffusion et de l’évolution de l’idée que l’on se fait du spatial grâce au support qu’offrent le net et les nouveaux médias sociaux. Cet oubli est d’autant plus dommageable à mon sens – et c’est aussi l’auteur d’un blog baptisé De la Terre à la Lune qui parle – que l’exploration de l’espace se joue aujourd’hui énormément sur le net.


Les campagnes de communication des agences spatiales de tous les pays l’illustrent aisément. Ainsi par exemple lors du tweetup organisé au printemps dernier lors de l’amarrage de l’ATV à l’ISS, du premier SpaceUp européen, des efforts du CNES à cet égard ou du compte twitter de la NASA qui, outre comptabiliser un peu plus de 3 millions d’abonnés, soit le 280e meilleur chiffre mondial, s’est cette année vu attribué un prix. Si l’image géante à très haute résolution de la Terre, dite « Blue Marble » (Bille Bleue), prise en octobre 2011, a été visionnée plus de 4,6 millions de fois, le lancement de l’entreprise SpaceX en mai dernier a quant à lui fait l’actualité : #DragonLaunch est devenu pendant quelques minutes le numéro 1 des tendances mondiales, avec International Space Station à peine quelques rangs derrière. La blogosphère n’est pas en reste, qu’elle soit institutionnelle et professionnelle, à l’image du blog tenu par les astronautes de l’ESA, ou plus « amateur » comme votre serviteur. Nous pourrions multiplier les exemples tant Internet cristallise les efforts de projection et de rayonnement des acteurs du spatial et que chaque « événement » est l’occasion de créer une attente, et d’attirer et de démultiplier le regard du public. La NASA est sans doute à ce titre l’exemple le plus abouti.

L’exemple américain

La NASA a en effet compris combien Internet permettait de connecter, mais aussi de relier et d’engager le public. Avec les médias sociaux, la NASA peut ainsi tout à la fois raconter une histoire, construire une relation, atteindre le public là où il se trouve – chez lui – sans qu’il ait lui-même besoin de se déplacer, voire prendre part à une conversation déjà existante. Cela n’a rien d’évident. L’émergence d’internet et des nouveaux comportements favorisés par les médias sociaux provoque l’intérêt comme le trouble pour cette institution historique née en 1958 de la crise déclenchée par Spoutnik. La transparence constitue un pan entier de la culture outre-Atlantique. Mais comme dans chaque cas lorsqu’il s’agit d’une bureaucratie, l’adaptation demande du temps et de l’argent : il faut identifier les responsables officiels (IT/Net ou communications), développer les ressources, cerner les enjeux de sécurité et ceux liés au caractère privé de certaines informations, et savoir comment impliquer l’ensemble des services (éducation, archives, etc.), de même que, dans le cas de la NASA, tous les centres dispersés dans tout le pays (NASA HQ, Kennedy Space Center, Ames Research Center, Jet Propulsion Laboratory, etc.). Développer une présence sur les médias sociaux constitue néanmoins un avantage indéniable. Pour la NASA, cela a sans doute été aussi l’occasion de réviser ses stratégies de communication en temps de crise poursuivant ici les efforts engagés après les tragédies Challenger en 1987 et Columbia en 2003. Cet outil de communication n’a en effet rien à voir avec le communiqué de presse. Il s’agit d’une tout autre culture. Ici, c’est une véritable conversation qui s’engage : on écoute autant qu’on exprime. Cela présente aussi des inconvénients : lorsqu’une conversation est entamée, l’effort doit naturellement être poursuivi, il faut participer, interagir, admettre ses erreurs, sans cesse répondre, et toujours rester présent – au besoin en donnant des rendez-vous à heures fixes. L’investissement doit être permanent si l’on veut établir une crédibilité.

A cette fin, la NASA s’est faite humaine. Elle engage des conversations à base de smileys, de références à la culture populaire et de plaisanteries. A l’intersection de tout cela, elle a aussi inventé l’anthropomorphisation à travers ses rovers (@MarsPhoenix, @MarsRovers, @MarsCuriosity), sondes (@NASAJuno, @NASAVoyager2) et surtout, cas extrême, ses robots (@AstroRobonaut) sans oublier tous ses avatars plus ou moins contrôlés qui participent au rêve spatial (@SarcasticRover). Elle s’est adjointe l’aide de représentants visibles comme @Lori_Garver et l’ensemble du corps des astronautes (32 possèdent un compte actif sur Twitter). La NASA a développé une version mobile de son site. Elle a également favorisé la migration de sa chaîne de télévision vers Youtube. L’interconnexion, quel que soit le support choisi, son caractère installé ou nouveau (twitter, Flickr, MySpace, Facebook, Google+, etc. plus de 200 comptes au total, et une présence multipliée par 157 sur Twitter), le mode (blogs, Chat, applications sur IPhone et Androïd, rencontres IRL, événements historiques de type premier tweet en provenance de l’espace écrit par @Astro_Mike, ou premier tweet en direct de l’espace rédigé par @Astro_TJ, « flashcode » dessiné sur le bras robotique de Curiosity utilisable pour obtenir des informations supplémentaires sur la mission, etc.), ou la provenance (officiel ou amateur), est encouragé. De même que l’est le partage (on peut « aimer » l’histoire, le récit) et les partenariats avec les acteurs du spatial américain (SpaceX, etc.) et de la société civile (universités, etc.). Résultat, l’agence spatiale américaine a plus de 1 500 vidéos et plus de 7,4 visionnages à son compte en 2010, une dizaine d’applications, de même qu’une crédibilité renforcée à la fois par la richesse des contenus (expertise, aperçu de l’intérieur, etc.) et la motivation des « visiteurs » qui ne sont plus seulement des « fans », « abonnés » ou simples « consommateurs », mais des créateurs, des collaborateurs, des « space geeks », voire des prosélytes.

Fondée sur la section 203, paragraphe (a), troisième alinéa du National Aeronautics and Space Act de 1958, selon laquelle « The Administration, in order to carry out the purpose of this Act, shall provide for the widest practicable and appropriate dissemination of information concerning its activities and the results thereof », la politique de la NASA vis-à-vis des médias sociaux est un succès visible au quotidien.

L’exemple européen

A noter que le CNES n’est pas absent de cette évolution générale. J’ai beau déplorer l’investissement (presque) exclusif en direction des applications Iphone au détriment d’Androïd, j’applaudis l’effort accompli depuis quelques temps sur Twitter (8 000 abonnés), Facebook (8 600 likes), la blogosphère (La tête en l’air, consacré à l’image spatiale, et La capsule, qui propose des podcasts) et Dailymotion et qui permet à l’agence spatiale française de toucher un plus vaste public, notamment les jeunes. La présence active du CNES sur les médias sociaux est également assurée par l’organisation d’événements IRL, à l’image des  Tweetups toulousains lors des lancements ATV, ou plus spécifiquement Les mardi de l’espace sur Paris et peut-être bientôt ailleurs.

Contrairement au DLR allemand, dont l’activité sur le web est bilingue (allemand et anglais), le CNES n’assure lui qu’une présence francophone. Quant à l’ESA, elle twitte en anglais (66 900 abonnés) et depuis peu en allemand, français (1 000 abonnés seulement !), espagnol, italien, grec et néerlandais. Nombreux sont aussi les astronautes à assurer un livetweet de leur expérience à l’entraînement ou en mission, de même que les différents organismes et missions spatiales de l’ESA. Les comptes Flickr (voir les photographies prises par Andre Kuipers depuis l’ISS) et Youtube sont également très actifs. Bien que dans le sillage de la NASA, l’Europe met donc elle aussi à son profit les enseignements des médias sociaux : transparence, participation, ouverture, crédibilité, communication en temps réel, partage, interaction et réutilisation libre des données d’origine spatiale… impliquant un traitement identique des médias traditionnels et du public, un contenu scientifique chaque jour plus riche et mis à disposition de tout le monde, et le recours à des licences de droits d’auteurs libres (de type Creative Commons).

... à suivre 




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