dimanche 23 décembre 2012

HANDs up, satellites !

Perhaps the most devastating threat could come from a low yield nuclear device, on the order of 50 kilotons, detonated a few hundred kilometers above the atmosphere. […] To execute this mission, all that is needed is a rocket and a simple nuclear device. Countries such as Iran, North Korea, Iraq and Pakistan possess missiles that could carry warheads to the necessary altitudes and either have, or are believed to be developing, nuclear weapons.


Satellite orbiting Earth inside the Magnetosphere
Pour les puissances dépendantes des systèmes spatiaux, le scénario décrit par la Commission Rumsfeld en 2001 a tout du cauchemar. Il suppose qu’un Etat voyou nucléarisé, comme la Corée du Nord, celle-là même qui la semaine passée a réussi pour la première fois à placer un satellite en orbite à l’aide de sa fusée Unha-3, puisse un jour se sentir à ce point menacé qu’il soit prêt à opter pour une attaque indirecte de type HAND – « High Altitude Nuclear Detonation », explosion  nucléaire à haute altitude. Prenons donc de la hauteur, disons l’orbite basse et au-delà, et étudions de plus près cette question…

Historiquement, l’arme nucléaire a été la première considérée lorsque l’objectif antisatellite (ASAT) est apparu peu de temps après le passage assourdissant (« bip bip ») de Spoutnik dans le ciel étoilé. Elle est alors en effet la seule alternative à même d’offrir avec certitude la destruction de sa cible. A la fin des années 1950, le Projet 505 (alias Mudflap) de l’US Army prévoyait ainsi l’utilisation du missile ABM Nike-Zeus, doté d’une bombe de 400 kilotonnes, contre des cibles spatiales. Jugé insuffisant, l’US Air Force lui préféra le Projet 437 : basé sur un missile Thor, certes plus lent au départ, celui-ci pouvait transporter une charge utile nucléaire beaucoup plus importante sur une plus grande distance. Cette capacité ASAT dotée d’ogive nucléaire a été déclarée opérationnelle à partir de 1964 après la série de tests de l’Opération Dominic conduits au-dessus de l’atoll Johnson dans le Pacifique. Une fois le retrait du programme Thor effectué en 1976, les Etats-Unis ont opté pour des mécanismes tueurs non-nucléaires à impact cinétique. L’URSS, et depuis 2007 la Chine, ont suivi la même voie. Et pour cause, les effets ASAT dévastateurs, durables et par-dessus tout totalement indiscriminés de bombes atomiques explosant à haute altitude n’ont pas manqué de poser nombre de questions sur les conséquences de leur utilisation.

Le test nucléaire du 9 juillet 1962, désigné sous le nom de code Starfish Prime, a été de ce point de vue une véritable révélation. Non seulement la détonation à 400 km d’altitude d’une bombe de 1,4 mégatonne a démontré que le total des radiations générées était suffisant pour provoquer une exposition excessive, c’est-à-dire supérieure aux radiations et rayonnements naturels cosmiques anticipés, de la part des satellites circulant en orbite avant dissipation. Mais elle a aussi montré l’existence d’effets moins immédiats, beaucoup plus importants que ce que les calculs avaient laissé supposer, incluant les interférences causées par l’impulsion électromagnétique (IEM, plus connue sous le nom EMP de l’anglais « electromagnetic pulse »). Si les pannes d’électricité provoquées à Hawaï, situé à 1 500 km du  point de détonation, sont généralement connues, de même que l’aurore artificielle apparue dans le ciel, on sait moins qu’environ un tiers des satellites présents en orbite basse ont été affectés. Au moins six – peut-être sept voire huit – d’entre eux auraient ainsi cessé de fonctionner dans les mois suivants le test, dont le premier satellite commercial de communication Telstar 1 lancé avec grand fracas à peine un an auparavant, le premier satellite britannique Ariel 1, les satellites militaires américains TRAAC et Transit 4B, Injun 1 et le satellite soviétique Cosmos 5.

De ce point de vue, il est relativement aisé de comprendre pourquoi les Américains – inquiets des conséquences qu’une course nucléaire dans l’espace aurait sur leurs intérêts commerciaux émergents en orbite par trop vulnérables face aux EMP – et les Soviétiques – tout aussi affolés face aux effets des radiations sur leur programme de vols habités dont la supériorité était indiscutable et le résultat politique très prometteur – se sont trouvés à la fin de l’année 1962 à la croisée des chemins. L’essor concomitant des « national technical means of verification », « moyens techniques nationaux » ou MTN, finira de faire pencher la balance du côté de l’auto-limitation ; les contours du régime de l’espace étaient nés.


Over the past few years, there has been increased focus on US space systems in low Earth orbits and their unique vulnerabilities, among which is their susceptibility to nuclear detonations at high altitudes—the same events that produce EMP.


L’utilisation, massive aux Etats-Unis, des ressources spatiales comme multiplicateur de force, « amplificateur d’efficacité » diront certains, a sans doute changé la donne. C’est d’autant plus le cas que – l’ASAT nucléaire n’étant pour dire les choses simplement qu’une tête nucléaire attachée à une fusée – toutes les puissances nucléaires du monde ont potentiellement une capacité ad hoc de déni d’accès à l’espace. 

Telle a partiellement été la leçon tirée lors du Winter War Game de 1997 de l’US Army et dont la RAND s’est faite l’écho, le scénario ayant donné un avant goût de ce qu’une guerre avec une puissance rivale n’ayant rien à perdre pouvait impliquer pour la puissance spatiale américaine. Ainsi, dans le monde imaginé de 2020, l’équipe BLUE (une force militaire américaine « transformée » ultra-dépendante de ses moyens spatiaux), placée face à face avec l’équipe RED (une armée russe modernisée mais non pas « transformée ») dans le cadre d’un conflit conventionnel européen quelconque, avait dû reculer devant la stratégie surprise mais efficace de son adversaire. Sans l’intervention des juges sceptiques quant à la vraisemblance d’une telle attaque, certes dévastatrice du point de vue des infrastructures spatiales, l’équipage RED aurait pu remporter aisément la victoire que lui avait fournie l’utilisation en début de combat d’armes ASAT. Il est exact que dans le monde réel, en dehors du wargame, les rivaux de l’Amérique auront à l’inverse de l’équipe RED tout naturellement à réfléchir aux conséquences de leurs actes une fois l’infrastructure spatiale américaine mise hors service, soit la crainte d’une montée aux extrêmes, d’une escalade conduisant inévitablement à la « destruction mutuelle assurée ». Cela paraît d’autant plus vrai dans notre cas que la nature indiscriminée de l’ASAT nucléaire a peu de chance de séduire une nation technologiquement avancée dépositaire d’un investissement personnel tout aussi important dans l’espace.

En réalité, et ce sont d’autres wargames – en particulier ceux confidentiels connus sous le nom de DEADSATS largement décrits dans un techno-thriller spatial datant de 2007 – qui nous en offrent l’illustration, l’ASAT nucléaire ne présente un intérêt certain que pour les puissances nucléaires ne participant pas à l’économie globale. En effet, renvoyer à la case « sous-développement » les pays désignés comme ennemis constitue le plus grand « égalisateur » jamais inventé. La supériorité spatiale occidentale, en premier lieu américaine, est ainsi menacée non pas tant par des nations technologiquement avancées à l’image du « peer competitor », mais davantage par des Etats dit « voyous » qui ont réussi à s’approprier des armes nucléaires, de même que les moyens d’en assurer la livraison. Un scénario sans doute plus vraisemblable que l’invasion aéroportée dont le récent remake de Red Dawn nous offre aujourd’hui le spectacle sur grand écran.

De tels Etats n’ont en effet pas de raison véritable d’intégrer la norme de la dissuasion. Non seulement un Etat voyou, pauvre, déjà affecté par des sanctions économiques, mettant à bas les constellations de satellite n’a pas ou plus les moyens de lancer ces mêmes armes sur le territoire national de ses adversaires. Mais la décision d’utiliser l’arme atomique pour une victoire tactique, visant des cibles automatisées, inhabitées, peut difficilement justifier un acte vengeur sous peine de sortir du cadre de la proportionnalité. Comment répondre à la destruction de milliards de dollars d’équipements et à la disparition de la capacité de mener une guerre technologique en dehors de ses frontières ? Comment répondre à ce type de guerre à « zéro mort » ? Tel est le dilemme des partisans de la dissuasion spatiale qui ont bien du mal à convaincre.

L’ASAT nucléaire pourrait être ainsi le seul exemple contemporain d’utilisation de l’arme atomique sans crainte de répercussion. Pour le prix de quelques fusées et de quelques ogives, un Etat voyou peut supprimer une grande partie des satellites d’observation de la Terre menacés par les effets directs mais aussi induits de l’EMP (exposition aux rayons ultraviolets). S’il est capable de produire des fusées plus puissantes et de suffisamment miniaturiser ses têtes (10 mégatonnes selon les estimations sont nécessaires), il peut aussi mettre en danger la constellation GPS. S’il parvient à rejoindre l’orbite géostationnaire, il peut enfin porter un coup fatal aux satellites de communications. Certes ces équipements, notamment ceux appartenant aux militaires, sont durcis. Reste que de nombreux services, y compris militaires, reposent sur le secteur commercial dont les satellites sont plus vulnérables à des événements EMP, perçus comme peu probables. La perte de ces systèmes est donc plus que coûteuse, elle est paralysante pour les nations avancées. C’est vrai au niveau militaire, ça l’est également au niveau économique. A l’inverse, l’espace reste avant tout un luxe pour l’Etat voyou. Sa survie lui importe davantage ; privée de la vue, de l’ouïe et de l’usage de la parole, la puissance spatiodépendante sera incapable de projeter ses forces, donc d’intervenir régionalement, permettant ainsi à l’Etat agresseur de bénéficier localement de sa victoire.
Cette présentation du « Pearl Harbor spatial » est naturellement imparfaite et partielle…
1) Rappelons tout d’abord qu’une attaque de type HAND, indiscriminée, a toute les chances de provoquer, sinon la destruction physique de la Station spatiale internationale, du moins son arrêt de fonctionnement et dès lors la mort quasi immédiate de ses occupants qui y vivent de manière permanente depuis 2000. L’assassinat de 3 ou 6 astronautes, « représentants de l’humanité », héros de plusieurs nations, ne manquera pas de provoquer une réaction vive de la communauté internationale, notamment de la part de l’Amérique, de ses alliés et de la Russie rassemblées dans une communion de douleur par un même désir de vengeance. La réponse serait sans doute conventionnelle, repoussée dans le temps du fait de la destruction des systèmes spatiaux dont dépendent toutes les armées du monde, mais elle n’en serait pas moins certaine.
2) A un tout autre niveau, plus technique, rappelons ensuite qu’un satellite ne constitue qu’une composante d’un système plus large, incluant notamment les stations au sol qui donnent les instructions, reçoivent et transmettent les communications qui utilisent les plateformes spatiales comme relais, et enfin servent de lieu de collecte pour les données recueillies par le satellite. Dans cette perspective, non seulement le segment sol est tout aussi menacé par les effets EMP, mais les signaux up & down eux-mêmes peuvent être perturbés par l’ionisation de l’atmosphère due à l’explosion nucléaire. Nous retrouvons ici le spectre de la menace EMP classique. Gageons que le lecteur saura satisfaire sa curiosité en jetant un œil sur les autres contributions de ce dossier sur AGS. 







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