jeudi 28 février 2013

Décès d’André Lebeau, ancien président du CNES


Je l’apprends grâce à Peter B. de Selding, journaliste à SpaceNews. André Lebeau est décédé aujourd’hui, 26 février 2013, à l’âge de 80 ans. Ancien élève de la rue d’Ulm, agrégé de science physiques et docteur en sciences, il avait occupé la fonction de président du CNES (Centre national d’études spatiales) de 1994 à 1995. Un des pères de la fusée Ariane, fils d’instituteurs, le professeur Lebeau avait d’abord choisi l’aventure - il a fait partie de la deuxième expédition française en Antarctique - avant de s’intéresser à l’ionosphère au CNRS. Devenu directeur général adjoint et directeur des programmes à l’ESA (Agence spatiale européenne) après avoir occupé différents postes, dont celui de directeur des programmes, au CNES de 1965 à 1975, il est ensuite nommé directeur général de Météo France, puis président d’Eumetsat et vice-président de l’Organisation météorologique mondiale de 1991 à 1994.

Démissionnaire forcé, son passage éclair à la tête du CNES a été marqué par l’opposition à l’Allemagne, accusée de suivisme vis à vis de la NASA, et le refus d’engager l’Europe dans le programme de Station spatiale internationale. Considérant ce projet comme une impasse coûteuse (« un piège »), André Lebeau avait des rêves plus ambitieux dans le cadre d’une Europe de l’espace qu’il voulait autonome (et sous direction française). Rester ou se taire, le dilemme était d’autant plus simple que Lebeau n’était pas du genre à rester silencieux : François Fillon, Ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à lEspace d’alors, ne pouvait donc qu’accepter sa démission plutôt que de risquer leffondrement du consensus franco-allemand sur lEurope du spatial.

Témoin privilégié de la naissance du spatial français et européen, Lebeau est l’auteur d’ouvrages critiques, passionnants, comme L’espace, les enjeux et les mythes (1998), L’engrenage de la technique (2005), L’enfermement planétaire (2008) et Les horizons terrestres. Réflexions sur lasurvie de l'humanité (2011).

 C’est avec émotion que Yannick d’Escatha, président depuis 2003 du CNES, a déclaré : « En mon nom propre mais également en celui des nombreux salariés du CNES qui ont travaillé sous sa présidence et en conservent le souvenir d’une personnalité d’exception, je rends hommage à André Lebeau, grand nom du spatial mais au-delà un homme de devoir et de convictions, aux engagements visionnaires et courageux ».


De la meteo au sauvetage en mer from CNES on Vimeo.

Je voudrais quant à moi revenir sur la naissance d’Ariane, épisode instructif s’il en est, une histoire d’hommes aussi. Je cite le Pr André Lebeau, tour à tour spectateur privilégié et protagoniste principal, parlant du satellite franco-allemand Symphonie et de la fusée Ariane, de l’Europe à la recherche de l’autonomie face à l’éléphant américain : « Nous avons eu raison ! »
« Je crois que si les Etats-Unis avaient vendu les deux lancements de Symphonie sans conditions particulières, la décision d’engager le programme Ariane n’aurait pu être obtenue. Leur intransigeance, maladroite, reposait sans doute sur l’idée que l’Europe serait incapable de ressusciter son programme de lanceurs. Le comportement américain vint à point pour fournir un appui décisif aux promoteurs du L3S [Lanceur de 3e génération de substitution, à la suite des projets Europa]. Dans la marge du document indiquant les conditions américaines, je me souviens que le négociateur allemand avait écrit : Es ist schwer! (C’est difficile!). » in Claude Carlier et Marcel Gilli, Les Trente Premières Années du CNES (1994)
« L’idée d’Ariane n’est pas née de notre direction général, ni même de la direction générale adjointe chargée des programmes. Elle est venue de l’équipe de la direction des Lanceurs composée de MM. Vienne, Deschamps, Gire, Gruau et Morin. Je crois devoir leur rendre hommage car ils sont injustement oubliés. Je suis parfois choqué, à propos de l’histoire d’Ariane, d’entendre certains en revendiquer l’initiative alors qu’ils n’auraient pas été mécontents, à l’époque, de tuer l’enfant au berceau [...]. Ce sont des hommes de l’ombre, tenus à mon avis dans une obscurité excessive, qui ont imaginé le L3S. Il s’agissait d’un lanceur modeste, un peu rustique comparé à ce qu’on pouvait imaginer de mieux, mais fabriqué selon des méthodes et des technologies déjà bien maîtrisées. [...] Ainsi, c’est bien avant les hommes qui ont porté cette idée vers sa réalisation et son succès, que les décisions clés pour concrétiser le futur programme Ariane ont été prise. Les paternités tardives ne doivent pas occulter les paternités réelles. Tout le monde n’était pas convaincu. Il a fallu qu’au sein de la direction des Lanceurs, on prenne conscience à la fois de l’enjeu lié à l’autonomie en matière spatiale, à l’orbite géostationnaire et à la valorisation du savoir-faire de nos ingénieurs. Le CNES a joué alors un rôle déterminant pour emporter la décision gouvernementale. En parallèle, la navette spatiale américaine est venue en contrepoint du projet européen. Lorsque nous avons engagé le programme Ariane, la NASA expliquant que les lanceurs conventionnels seraient bientôt condamnés. [...] En France, nos analyses nous laissaient penser exactement le contraire. Nous considérions que la navette serait plus coûteuse mais aussi plus fiable que les lanceurs conventionnels. Nous avons eu raison. » in France Durand-de Jongh, De la fusée Véronique au lanceur Ariane (1998)




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