mardi 14 mai 2013

Apollo-Soyouz Redux : quelle pertinence pour l’avenir des relations Etats-Unis/Chine dans l'espace ?

Début mai, le programme Espace du Stimson Center a organisé par l’entremise de son directeur, Michael Krepon, une conférence sur la coopération Etats-Unis/Chine dans l’espace. Au regard de l’organisation de la discussion, notamment des postulats de départs, l’événement peut être considéré en soi comme un follow-up d’un article publié par Space News en janvier dernier. Deux parties se dégagent ainsi : la première a pour objet l’expérience américaine issue de la guerre froide en matière de coopération spatiale, principalement la mission Apollo-Soyouz de 1975 ; quant à la seconde, elle pose la question de savoir si quelque chose de similaire, sinon d’aussi ambitieux et coûteux, est aujourd’hui possible entre la Chine et les Etats-Unis.

Pour en parler, Krepon a fait appel à des invités prestigieux. Le vétéran John Logsdon, professeur émérite à l’université George Washington, auteur de John F. Kennedy and the Race to the Moon et de sa suite à paraître sur l’Amérique Post-Apollo et la décision Nixon d’engager les Etats-Unis dans le programme Space Shuttle, a ainsi lancé le débat en rappelant le contexte politique et technique à l’origine du rendez-vous orbital entre un vaisseau Apollo et une capsule Soyouz en 1975. Les autres intervenants, non moins experts reconnus, sont Joan Johnson-Freese, du Naval War College, auteur de nombreux ouvrages dont Space as a Strategic Asset et Heavenly Ambitions, James Clay Moltz, étoile montante à qui l’on doit Asia’sSpace Race et surtout un livre de référence, paru pour la première fois en 2008, The Politics of Space Security, et Brian Weeden, de la Secure World Foundation et par ailleurs ancien de l’ISU (SSP07) tout comme votre serviteur.

La vidéo (1h30) vaut largement la peine d’être visionnée. On pourrait presque regretter toutefois que d’emblée rien n’ait été tenté pour limiter l’objet à un certain type de coopération tant les thématiques évoquées sont nombreuses et parfois contradictoires. Le vol spatial habité a ainsi tendance à figurer au premier rang des discussions, par réflexe naturelle autant que par choix – ce que la comparaison, discutable à mon sens, avec la mission Apollo Soyouz et plus largement la relation américano-soviétique laissaient de toute manière deviner. Aussi la conclusion est-elle largement ouverte : le futur de la coopération entre la Chine et les Etats-Unis sera-t-il centré sur le spatial habité ou sera-t-il de nature plus technique ? Un tel résultat ne doit pas étonner dès lors qu’aucun réel effort de définition n’a été conduit durant la présentation. N’en demeure pas moins que le Stimson Center a joué son rôle de think tank en produisant ici une contribution honnête au débat sur les relations entre la Chine et les Etats-Unis dans l’espace.

Parmi les points principaux discutés, on relèvera par exemple :
1) Dans la pensée de son plus ardent défenseur, le président Nixon, Apollo-Soyouz (ASTP selon la nomenclature américaine) n’était pas une fin en soi, mais un moyen vers quelque chose de plus ambitieux encore. Contexte international oblige (droits de l’homme, Afghanistan), son successeur, Jimmy Carter, a choisi de mettre fin à cette coopération. Il a fallu attendre les années 1990 pour voir celle-ci être relancée, pour des raisons toutes différentes. 
2) La Chine a longtemps voulu rejoindre le programme ISS, symbole de son intégration dans la famille des grandes puissances spatiales et de la reconnaissance de son statut de puissance technologique majeure. D’une certaine manière, elle est toujours désireuse. Reste que, pour parler de la coopération sino-américaine uniquement, elle a également pris conscience du fait que l’Amérique était un partenaire très difficile et que travailler avec Washington pourrait paradoxalement ralentir ses propres activités spatiales alors que celles-ci suivent un rythme soutenu. 
3) Le tout-ou-rien dont fait preuve Washington est néfaste pour son soft power, les Etats-Unis apparaissant de plus en plus aux yeux du monde comme la « méchante ado » des films hollywoodiens qui, forte de sa répartie, de son physique et de son apparente popularité, décide qui peut rejoindre le groupe et qui n’en est pas digne. D’autant plus que le fossé institutionnel existant entre la Congrès et la Présidence complexifie un peu plus la lecture du spatial américain, créé une situation internationale ambiguë et contribue à l’affaiblissement du leadership des Etats-Unis. 
Les intervenants s’accordent pour dire que le processus de coopération devra se faire étape par étape, les éléments les moins controversés devant figurer au premier rang : ainsi de la science spatiale selon Joan Johnson-Freese (moins à même d’impliquer des problématiques de transfert de technologie) et de la météorologie spatiale selon Brian Weeden (nécessite des systèmes complémentaires, bénéficie aux deux pays ainsi qu’à l’ensemble de la communauté spatiale, et n’implique pas ou très peu de considérations politique ou de prestige). Il en est de même pour Moltz pour qui trois pistes doivent être creusées : échanges SSA, discussion bi- et multilatérale sur l’établissement d’un système international de « monitoring », et création de « building blocks » à la manière de la guerre froide parmi lesquels un accord de non-interférence dommageable des « national technical means » figurerait au premier rang. A l’inverse, pour Logsdon, il faut viser haut avec des programmes de coopération à haute visibilité, i.e. un vol conjoint habité. 




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