dimanche 6 avril 2014

L’espace face à la situation en Ukraine, otage ou victime collatérale ?

Quatre jours après la décision prise par la NASA de mettre un terme à la « majorité » de ses relations avec le gouvernement de Russie à l’exception précisément de la « majorité » d’entre elles – soit celles prenant place dans le cadre de la station spatiale internationale –, il persiste un certain flou. C’est du moins ce que j’ai essayé de soutenir dans un papier rédigé sur le sujet à la demande de The Conversation. Non seulement cette annonce en demi-teinte est, cela va sans dire, peu susceptible d’infléchir à elle seule la politique russe à l’égard de l’Ukraine : les représentants russes ne s’y sont pas trompés, eux qui ont réagi de manière sarcastique au message de l’agence américaine. Mais l’appel de mobilisation lui-même, lancé de manière très explicite – voire un peu trop si l’on croit les commentaires – au Congrès américain par Charlie Bolden et ses collègues, a toutes les chances de tomber dans l’oreille d’un sourd tant les membres des deux chambres sont notoirement sceptiques à l’égard du programme des vols commerciaux habités qu’ils voudraient réduire et non amplifier, ralentir et non accélérer.

Non pas que l’affaire ne soit pas sérieuse. Le fait que cette décision ait été fuitée avant d’être officiellement confirmée par la NASA ne l’illustre que trop bien. Il est par ailleurs révélateur que l’annonce officielle – publiée assez étrangement sur le compte Google+ de l’agence et relayée via Twitter plutôt que par un communiqué de presse – soit finalement dirigée en direction moins du peuple Américain pour expliquer pourquoi la crise ukrainienne doit nécessairement avoir ce genre d’impact sur les relations spatiales entre leur pays et la Russie que des membres du Congrès chargés d’examiner la requête budgétaire de la NASA pour l’année fiscale 2015. D’autant plus qu’il est permis de se demander si les alliés des Etats-Unis se rallieront aux sanctions américaines préconisées par la NASA dans le domaine spatial civil cependant que le commandement suprême des forces alliées de l’OTAN a annoncé la suspension de toutes les activités civiles et militaires de coopération avec la Russie. Il semblerait que non. Il n’est pas innocent non plus si l’on a assisté depuis l’annonce officielle à un rétropédalage de la part aussi bien de la NASA que de l’administration Obama. C’est ainsi que, selon Bolden lui-même, la prochaine réunion du COSPAR, organisée à Moscou, ne sera pas a priori concernée par la nouvelle politique.

En effet, le risque n’est pas négligeable que ces sanctions, qui sont très similaires à celles qui limitent les interactions entre la NASA et la Chine, puissent entraîner des représailles. La probabilité pour que cela se produise est évidemment extrêmement faible étant donné que Roscosmos, l’équivalent russe de la NASA, est incapable d’exploiter la station spatiale sans l’aide des Américains. Mais un tel scénario est moins farfelu qu’il n’y paraît si l’on envisage le problème sous l’angle du moindre intérêt que la Russie pourrait éprouver demain à l’égard de la station – ou du programme post-ISS. L’ISS est après tout le fruit du partenariat d’après-guerre froide envisagé avec la Russie par l’administration Clinton dans le cadre de sa stratégie d’« engagement and enlargement ». Pour être relativement équilibrés, les termes de l’accord n’en sont pas moins parus humiliants pour la nouvelle Russie qui a dû prendre la décision difficile et ô combien déchirante de désorbiter la vieille station Mir. Or même si la NASA et l’agence européenne sont les premières à dire que l’assemblage de l’ISS est terminé, cela n’est pas entièrement vrai : la Russie doit encore envoyer en orbite le Multipurpose Laboratory Module (MTsM/MLM) Nauka en 2015 et a prévu de lancer plusieurs autres modules d’ici la fin de la décennie.

Deux choses en conclusion :

1) si l’histoire a montré quelque chose, c’est qu’en matière de coopération spatiale, il est plus facile de défaire que de faire, de faire marche arrière que d’aller de l’avant. A noter ici que Susan Eisenhower, petite-fille de l’ancien président des Etats-Unis, a été invitée par le Sénat américain le 9 avril prochain pour parler d’exploration spatiale à un moment où « troubled U.S.-Russia relations, alternative mission destinations, and a strengthening Chinese space program may complicate international cooperation ». Il ne sera sans doute pas inutile d’entendre ce qu’elle et son époux, Roald Sadgéev, ancien directeur de l’Institut de recherche spatiale de l’Académie des sciences de Russie, ont à dire sur la situation actuelle.

 2) On rappellera également que l’espace n’existe en tant qu’activité autonome que dans les limites définies par les nations qui l’utilisent pour mieux affirmer leur statut et leur souveraineté ici sur Terre. Aussi dépend-il moins de sa valeur intrinsèque que de sa capacité à entrer en résonance avec une politique particulière chargée de lui donner du sens. Ce qui est vrai pour les Etats-Unis où l’espace est le fruit d’une construction négociée entre la Maison blanche et le Capitole l’est aussi pour les autres pays. L’ISS est un bien de club et à ce titre un bien dont la possession est apprécié de tous ses membres, mais un bien de club sous leadership américain malgré tout. Cela n’a sans doute pas échappé à la Russie de Poutine...

Credits : NASA




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